EDUCATION

Manuels numériques : une page se tourne

HD-399---numeri-3-SIPA-Lentement mais sûrement, les manuels numériques s’imposent dans les classes. S’ils ne constituent pas la panacée, bien utilisés, ils apportent un vrai plus d’un point de vue pédagogique.

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Après avoir passé des années à vivoter, le manuel numérique a enfin le vent en poupe. En France, plus d’un million d’élèves bénéficient désormais, dans le cadre de leur enseignement, d’un accès à un manuel scolaire dématérialisé. Il faut dire qu’en 10 ans, l’offre s’est considérablement étoffée. Tous les éditeurs proposent désormais des versions numériques de leurs manuels, dans toutes les matières et pour tous les niveaux. Leur contenu s’est aussi renforcé. Il est loin le temps où les éditeurs qualifiaient de « numérique » la version PDF de leurs manuels imprimés. Désormais, les manuels numériques permettent d’accéder à toutes sortes de ressources complémentaires, comme des cartes interactives, des documents sonores, des photos, des vidéos, des animations, etc. D’un simple clic, les élèves peuvent ainsi visionner des images sur le Débarquement du 6 juin 1944, afficher une œuvre d’art en plein écran, lancer un document sonore en anglais, visionner une animation ludique décryptant le théorème de Pythagore, etc. S’ils le souhaitent, ils peuvent même surligner un passage qu’ils jugent important, zoomer sur un détail dans une photo, déplacer des documents pour mieux les mettre en parallèle. L’autre atout des manuels numériques, c’est leur accessibilité depuis n’importe quel ordinateur, tablette ou smartphone, connectés à Internet grâce à des identifiants propres à chaque élève.

Si les manuels numériques sont en plein boom, c’est aussi parce que l’environnement technologique s’est enrichi. Le plan numérique lancé en 2015 à l’initiative de l’ancien président de la République François Hollande n’est pas étranger à cette situation. « Le taux d’équipement des établissements scolaires a nettement progressé ces deux dernières années. Dans l’académie de Grenoble, 350 écoles et 130 collèges disposent désormais d’un jeu de tablettes numériques que les enseignants peuvent confier à leurs élèves pendant les cours ; et dans 20 collèges, une tablette a été distribuée à chaque élève », recense Yaël Briswalter, le correspondant de la Délégation académique au numérique éducatif (DANE) de l’académie de Grenoble. Des chiffres en progression certes, même si l’on est encore très loin des objectifs affichés : « tous les élèves de 5e seront équipés d’une tablette dès la rentrée 2016 » avait ainsi déclaré l’ancien chef de l’Etat lors d’une intervention télévisée, le 6 novembre 2014…

 

HD-399---numeri-1-AFPDes enseignants plus sensibilisés

De leurs côtés, les enseignants sont aussi plus nombreux qu’avant à adopter ces outils. « Lorsque nous nous sommes lancés il y a 9 ans, nous séduisions uniquement les enseignants les plus intéressés par les innovations technologiques, se souvient Raphaël Taïeb, l’un des fondateurs de la maison d’édition Lelivrescolaire. Désormais, notre cible est bien plus large car les enseignants sont de plus en plus nombreux à vouloir inclure le numérique dans leurs pratiques ». Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les professeurs les plus jeunes ne sont pas forcément ceux qui les utilisent le plus. « La plupart des enseignants qui passent aux manuels numériques ont entre 30 et 40 ans, constate Yaël Briswalter. Ce n’est pas étonnant car une expérience pédagogique est nécessaire si l’on veut utiliser correctement ces outils ».

Et une fois qu’on y a goûté, il semble difficile de revenir en arrière. Selon la dernière enquête Profetic (PROFesseurs et Technologies de l’Information et de la Communication) menée à l’initiative du ministère de l’Education nationale, 3 enseignants sur 4 estiment que le numérique fait progresser les élèves dans leurs apprentissages. Grâce à lui, les cours deviennent plus concrets, plus vivants, plus interactifs. Elie, élève en terminale à L’Isle-Adam (95), le reconnaît volontiers : « Les animations que projette en classe notre professeur de physique m’ont aidé à plusieurs reprises à comprendre des notions compliquées ». « Le manuel numérique a aussi tendance à renforcer la différenciation des enseignements pour mieux s’adapter aux besoins des élèves, ajoute Yaël Briswalter. C’est le cas, par exemple, pour la prise en compte des enfants dyslexiques, qui ont du mal avec l’écrit et qui, grâce au numérique, peuvent écouter un texte plutôt que de le lire ».

 

Un travail de sélection préalable

Pour qu’il soit efficace, le manuel numérique doit toutefois être employé à bon escient. Si certains enseignants ont fait le choix de délaisser complètement le manuel papier (lire en encadré), pour Estelle Dubernard, directrice adjointe du prescrit d’Hachette Education, l’idéal est de l’utiliser en complément du manuel imprimé. « Le numérique permet d’accéder à de nouvelles ressources, mais le manuel imprimé demeure important car il favorise la concentration, assure-t-elle. Cette complémentarité donne aussi la possibilité aux élèves de laisser leur manuel imprimé en classe ou à la maison, ce qui permet d’alléger le poids du cartable ».

Il faut également que chaque enseignant choisisse le manuel qui sera le plus adapté à ses besoins car, comme les manuels classiques, tous les manuels numériques ne se valent pas. En fonction de l’éditeur, le nombre et la qualité des ressources proposées peuvent varier considérablement. L’interface non plus n’est pas forcément identique. Chez Hachette Education, par exemple, les contenus apparaissent sur des pages virtuelles que l’élève peut feuilleter comme il le ferait avec un manuel papier. « Cette présentation permet aux enseignants et aux élèves de mieux se repérer », justifie Estelle Dubernard. Chez Lelivrescolaire, au contraire, on a fait le choix de placer les contenus les uns en dessous des autres de manière à faciliter la lecture à l’écran. Le fait qu’un manuel numérique puisse être accessible directement depuis l’Espace numérique de travail (ENT) des élèves constitue aussi un avantage de taille.

Enfin, la question budgétaire est centrale. D’un éditeur à l’autre, les prix sont très variables et la note peut vite s’élever. Chez Hachette Education, il faut ajouter 6 à 7 euros par élève pour qu’une classe disposant du manuel papier puisse également accéder à sa version numérique. Un enseignant peut néanmoins bénéficier gratuitement de la version numérique d’un manuel papier acheté pour sa classe et projeter au tableau les ressources qu’il contient. Lelivrescolaire a une approche complètement différente. Chez cet éditeur, l’accès à toutes les ressources des manuels est entièrement gratuit pour les élèves et leurs professeurs, mais les enseignants qui le souhaitent peuvent souscrire à une version Premium qui leur permet de bénéficier de certains services complémentaires, comme par exemple la possibilité de se servir du manuel numérique pour communiquer avec leurs élèves ou le fait de pouvoir utiliser le manuel sans être connecté à Internet.

 

HD-399---numeri-2Encore des défis à relever

Si l’on veut que dans les années qui viennent, les manuels numériques s’imposent encore plus dans les salles de classes, il faut avant tout que l’équipement technique des établissements se poursuive. Trop d’écoles ne disposent pas encore d’un accès à Internet, de vidéoprojecteurs et de tableaux interactifs dans toutes les classes. Or, cet équipement est indispensable pour profiter de tout ce que peuvent apporter ces manuels.

Il faut enfin que les enseignants soient mieux formés à ces nouveaux outils. Si des initiatives intéressantes ont vu le jour ces dernières années, encore trop peu d’enseignants se sentent à l’aise avec les nouvelles technologies. La généralisation des manuels numériques passe pourtant par là.

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ZOOM

Des parents mitigés

A en croire l’enquête menée par la PEEP auprès de ses adhérents à la rentrée de septembre 2017, seuls 25 % des parents pensent que le manuel numérique remplacerait avantageusement le manuel papier alors que plus de 30 % estiment qu’il n’apporterait rien de plus. Cette méfiance vis-à-vis du manuel numérique s’explique en partie par le fait que les parents ne se rendent pas forcément compte de ce qu’il peut apporter tant qu’ils n’ont pas eux-mêmes à s’en servir. Et pour cause. Selon la même enquête, à peine 10 % des parents indiquent que leur enfant est équipé de manuels scolaires numériques cette année.

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Itw-399-numik-Cyril-MichauPOINT DE VUE

Cyril Michau,  professeur de mathématiques en troisième au collège international de Noisy-le-Grand

« Dans mon collège, nous avons définitivement abandonné le manuel papier. Cela a été possible parce que toutes nos salles étaient équipées d’un vidéoprojecteur et d’un accès à Internet et que quasiment tous les élèves avaient chez eux un ordinateur ou une tablette. Désormais, à partir du manuel, je projette en classe des animations, j’affiche des tableurs, je déplace des modules pour composer de nouveaux documents que les élèves peuvent retrouver dans leur espace de travail. Les feuilles de papier ne sont plus utilisées que pour les contrôles. Je constate que grâce au numérique, l’attention est meilleure, la motivation plus grande et il est plus facile de faire appréhender les notions compliquées. Le numérique me permet aussi de gagner du temps de préparation car je n’ai plus à couper, photocopier, distribuer des documents. Même les parents s’y retrouvent puisqu’ils peuvent suivre la progression de leur enfant depuis leur espace en ligne ou encore accéder à toutes les ressources interactives issues du manuel ou des banques de ressources numériques du ministère (BRNE). La seule contrainte, c’est la dépendance vis-à-vis de l’accès à Internet. Les deux fois où la connexion ne fonctionnait pas, j’ai dû reprendre le manuel papier et copier les exercices au tableau. Mais pour rien au monde je ne reviendrai en arrière ».

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REPERES

Du retard en primaire

Si les collèges et des lycées de France sont plutôt bien équipés en matériel numérique, les écoles primaires, qui dépendent des communes, sont encore loin du compte. Selon le tableau de bord du numérique pour l’Education, en 2016, les écoles élémentaires disposaient en moyenne d’un ordinateur pour 8,3 élèves. La même année, ce taux était d’un ordinateur pour 4 collégiens et d’un pour 2,6 lycéens d’enseignement général et technologique (LEGT). Dans le même temps, les écoles élémentaires ne disposaient que de 10 tableaux numériques interactifs (TNI) et autant de vidéoprojecteurs pour 1 000 élèves, contre respectivement 17 TNI et 38 vidéoprojecteurs au collège. La connexion Internet aussi fait le grand écart en fonction du niveau d’enseignement. Seulement 31 % des écoles de l’élémentaire disposaient d’un accès à Internet supérieur à 2 mégabits/seconde, contre 85 % des collèges et 93 % des lycées et seule la moitié des écoles maternelles et 7 écoles élémentaires sur 10 recevaient Internet dans au moins la moitié de leurs classes.

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